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Lettre ouverte - Une intelligence artificielle à "Louvre" ouvert

4 novembre 2025
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Notre directeur général, Laurent Dubois, signe une lettre ouverte dans Le Devoir

 

Le récent vol de bijoux au musée du Louvre à Paris a fait les manchettes et suscité une vive émotion que je comprends et partage. Des pièces uniques, chargées d’histoire, ont été dérobées assez aisément par des délinquants sans scrupules qui ont agi en plein jour devant des témoins impuissants. C’est choquant !

Dans le monde de l’IA générative, nous assistons à un cambriolage permanent d’œuvres d’arts au nom de l’innovation. C’est un « Louvre » ouvert dans lequel des compagnies puissantes assoiffées de pouvoir et de profits pigent allégrement dans des contenus pourtant protégés par le droit d’auteur à des fins d’entrainement de leurs algorithmes.

Tout comme les joyaux de la couronne française pourraient potentiellement être découpés et fondus en métal précieux, les œuvres de nos artistes moissonnées par l’IA sont émiettées, désossées, fragmentées et servent de matière première précieuse à la création de nouveaux contenus vides de toute valeur historique, émotionnelle, humaine ; vides de savoir-faire créatifs.

Nous assistons à ce qui est probablement le plus grand pillage d’œuvres de l’Histoire ! Alors que les dérobeurs du trésor français seront arrêtés (nous l’espérons) et convoqués par la justice, ceux du domaine de l’IA sont plutôt conviés à des événements d’envergure, des panels prestigieux, ou des soupers aux tables de certains gouvernements.

Ces entreprises de haute technologie nous présentent l’IA comme une révolution. Un train qu’il faut attraper à tout prix sous peine de rester sur le quai des temps passés.

Mais l’IA n’est pas une révolution ! Elle est une innovation majeure, certes, mais elle n’est pas une révolution. La notion de révolution implique de faire table rase du passé de manière brutale pour imposer de nouveaux paradigmes, de nouvelles règles du jeu.

Des associations syndicales comme la SARTEC mettent des années à bâtir des conditions minimales de travail pour les scénaristes qu’elles représentent. Elles le font dans le cadre d’un dialogue social respectueux avec leurs vis-à-vis.

La démocratie est un temps long fait de consultations, d’échanges et de compromis.

Laisserons-nous aujourd’hui quelques grandes entreprises de la Silicon Valley empiéter sur ce que nous sommes, sur notre bien commun, sur notre souveraineté ?

Pertes d’emplois, fuite de la propriété intellectuelle, pillage de contenus protégés ne sont que les premiers impacts mesurables de cette évolution.

Les répercussions d’un développement mal encadré de l’IA dépassent d’ailleurs la seule considération économique. En effet, l’IA ne crée pas ; elle recycle. Elle divise pour mieux régner, et les algorithmes qui la façonnent n’échappent pas aux jugements et valeurs de celles et ceux qui les conçoivent et les mettent en marché. Les discours dominants continueront à dominer et les voix minoritaires verront le fossé des iniquités se creuser davantage encore.

La diversité des expressions culturelles est menacée par manque de rentabilité, et, par le fait même, c’est la souveraineté culturelle du Canada qui est en jeu.

J’appelle le gouvernement fédéral à saisir l’opportunité d’assumer un leadership fort sur cet enjeu pour rappeler, aussi souvent que nécessaire, que l’art est humain et doit le rester !

Même si notre Loi sur le droit d’auteur offre d’ores et déjà des protections pour les créatrices et créateurs, un cadre strict complémentaire et incontournable doit être élaboré, car ni les artistes seuls, ni leurs modestes associations professionnelles ne peuvent mener tous les recours nécessaires pour faire valoir leurs droits face à des géants aux ressources quasi illimitées.

Des solutions existent. Elles requièrent un travail concerté et une bonne dose de courage. Elles impliquent des notions simples d’autorisation, de rémunération et de transparence.

Dans l’attente de ce cadre législatif, il est urgent de ralentir dans l’adoption de nouveaux outils opaques dont le modèle d’affaire repose essentiellement sur une exploitation abusive d’œuvres créées par des artistes dont les conditions socio-économiques sont déjà précaires.

En juin dernier, nous diffusions le manifeste L’art est humain, rédigé et propulsé par six organisations syndicales québécoises représentant 25 000 artistes et techniciens de l’audiovisuel. Ce texte est un plaidoyer pour un développement raisonnable et raisonné de l’IA ; car si nos membres sont globalement favorables aux nouvelles technologies, ils et elles rappellent que cela ne peut se faire au détriment de la majorité pour le bénéfice de quelques-uns. Ce n’est pas notre conception du progrès !

Publié dans Le Devoir le 4 novembre 2025.

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