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Auteure autrice : L’animateur Patrick Lagacé s’entretient avec la linguiste Marie-Eva de Villers

4 juin 2021
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L’animateur Patrick Lagacé s’entretient avec la linguiste Marie-Eva de Villers 

98.5 FM Montréal – Le Québec maintenant et 106.9 FM Mauricie – Le Québec maintenant

4 juin 2021 à 15:51

 

  • Patrick Lagacé : Le mot autrice, devenu populaire ces dernières années, ça retrousse les oreilles de beaucoup de gens. C'est une sorte de terrain de bataille terminologique et aussi idéologique. Un organisme, syndicat d'auteurs de radio, télévision et cinéma, la SARTEC, a fait un sondage auprès de ses membres féminines : «Préférez-vous qu'on réfère à vous comme des auteures ou des autrices?». 402 scénaristes et adaptatrices ont répondu; 130 ont préféré autrice et 270, auteure. On en parle immédiatement avec Marie-Èva de Villers, linguiste, auteure du Multidictionnaire de la langue française dont la nouvelle édition vient de paraître.
  • Marie-Eva de Villers : Bonjour
  • Patrick Lagacé : C'est pas un nouveau mot, on a simplement commencé à l’utiliser plus souvent, mais ses racines sont très longues ?
  • Marie-Eva de Villers : Oui, elles sont très anciennes. Si on fait l'historique de la féminisation au Québec, nous avons vraiment été des précurseurs. À la fin des années 70, on a recommandé la féminisation des titres à la demande de Madame Lise Payette qui venait d'être nommée ministre et qui voulait être nommée Madame LA Ministre. L'Office de la langue française a donc publié un avis à la Gazette officielle recommandant la féminisation et à ce moment, nous avons adopté des féminins en E lorsque ça s'y prêtait, par exemple, professeure, ingénieure, puis, pour auteur, on a opté pour auteure.
    On remonte à la fin des années 70 et 20 ans plus tard, la France s'y est mise, mais elle n'a jamais beaucoup aimé « auteure »; les femmes auteures ayant préféré garder le masculin.
    Mais voilà, il y a 2 ans, en 2019, 40 ans après le Québec, l'Académie française - qui avait toujours été violemment opposée à la féminisation - ne pouvait plus s'y opposer parce que c'était véritablement entré dans les mœurs. Elle a publié un rapport sur la féminisation et, dans ce rapport, elle a donné comme exemple autrice. Cette recommandation date donc d’il y a seulement 2 ans.
    Mais nous, ça faisait plus de 40 ans qu'on utilisait auteure. Moi, je préfère auteure parce que j'ai adopté ce terme, ce féminin, voilà maintenant 4 décennies, mais je dois dire qu’autrice est bien formée, parce qu'en latin, on avait déjà ce féminin d’auteur (qui s’écrivait AUCTOR) avec AUCTRIX. Autrice, c'était le féminin étymologique que l'Académie française proposait, mais nous, ça fait 40 ans qu'on utilise auteure, alors je ne m'étonne pas du tout que les scénaristes préfèrent le féminin auteure. Et moi, j’admets les deux maintenant dans ma 7e édition qui vient de paraître. Je mets les deux parce que les deux sont légitimes.
  • Patrick Lagacé : Comment vous expliquez que ça retrousse les oreilles de tant de gens, y’a des gens qui font des boutons à entendre autrice.
  • Marie-Eva de Villers : C'est simplement une question d'habitude parce que «directrice» ça ne gêne personne, ni  «ambassadrice». C’est la formation classique du féminin des mots en «teur», c'est simplement une question d'habitude. On en parlait avec «présentielle», bon au début, ça choquait beaucoup, c’est un terme un peu technique de la didactique, mais aujourd'hui, il passe dans l’usage quand même très rapidement en un an, alors qu’«autrice», je pense que si on faisait un sondage auprès des auteures littéraires, on aurait une prédominance peut-être pour «autrice», on aurait alors un choix différent de celui de la SARTEC des scénaristes.
  • Patrick Lagacé : Pourquoi vous pensez?
  • Marie-Eva de Villers : Parce que tout de suite, c'est devenu très chic de se dire autrice et puis les leaders d'opinion comme des émissions littéraires, ou Le Devoir ont tout de suite opter pour «autrice». Moi, j'ai transmis un texte, par exemple, au Devoir. J'ai signé mon nom et avec la mention auteure du Multidictionnaire. Mais quand il a été publié, on écrit autrice du Multidictionnaire.
  • Patrick Lagacé : On n'a pas respecté votre choix ?
  • Marie-Eva de Villers : Non, mais je leur ai écrit : «Je préfère auteure, mais autrice est possible» et tout de suite, ils ont modifié la version électronique, mais c'est-dire qu’automatiquement Le Devoir met autrice. Même si les personnes voulaient employer auteure, on traduit en autrice, alors il y a une mode je dirais, dans le domaine plutôt littéraire, mais autrement dans le grand public, je pense qu’auteure demeure le plus couramment accepter.
  • Patrick Lagacé : Très intéressant. Je vous salue comme auteure du Multidictionnaire de la langue française, Mme de Villers. Merci d'avoir été avec nous.
  • Marie-Eva de Villers : Merci beaucoup et au revoir.
  • Patrick Lagacé : Merci et bonne fin de semaine, c'était Marie-Éva de Villers linguiste, auteure du Multidictionnaire de la langue française. Les gens m'écrivent pour me dire : «Je déteste autrice». Écoute, c'est un effet de mode, c'est pas nouveau mot. Mais moi, j'y vais Philippe, Catherine avec la préférence de l'auteure ou de l’autrice. J'ai décidé de choisir mes combats là-dessus pour distanciel, je pense que j'ai perdu le combat. Et que dire de présentiel.

 

Cet entretien a eu lieu à la suite du communiqué de presse émis par la SARTEC. Pour consulter ce communiqué intitulé «100 ans de droit d'auteur canadien», cliquez ici 

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