crédit photo: David Ospina
GRAND DÉBAT SUR LA CULTURE ET LES MEDIAS
Michelle Allen
La culture peut-être un immense fourre-tout dans lequel on peut inclure toutes sortes de choses, même le hockey.
Ici, moi, aujourd'hui, j'aimerais parler de la portion artistique de la culture.
Isssssh... L'ART est maintenant un mot à l'index. Il fait peur.
Parce qu'il échappe au discours dominant néo-libéral, capitaliste, pragmatique, binaire.
«Money is power. Power is money.»
Notre société carbure à la performance, au profit, à la croissance.
Pour avoir voix au chapitre, le monde de l'art a adopté le discours du conquérant. On parle d'entreprises ou d'industries culturelles. On négocie des quotas, de la parité, des partenariats. On justifie son existence par des retombées économiques.
Moi, comme auteure, je n'écris plus une œuvre, je produis une MARQUE.
Moi-même je suis une marque!
Sauf que...
L'art, c'est tellement plus que ça. C'est le liant de notre société, comme le sang qui circule dans nos veines.
L'art nous permet de réfléchir ensemble, d'évoluer, de nous projeter dans l'avenir.
Il abolit nos différences, nous fait vibrer à ce qui nous lie plutôt que ce qui nous divise. Il nous permet d'échapper au monde de l'avoir pour entrer dans celui de l'être.
Malgré ce qu'on essaie de nous faire croire, aucun algorithme, aucune intelligence artificielle ne pourra vraiment prévoir ce que je vais créer demain ou ce à quoi je vais vibrer demain.
Dans le monde de l'art, je suis plus que la somme des datas qui me représentent.
Dans le monde de l'art, les êtres humains sont complexes, conscients et libres.
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Je vais remettre ici mon chapeau d'auteure de productions audiovisuelles et y aller avec nos demandes.
Au Gala des Prix Gémeaux dimanche dernier (Le Gala des Prix Gémeaux avait lieu le 15 septembre 2019), la qualité et la diversité des œuvres auxquelles on a rendu hommage explosaient, mais cette effervescence ressemble au dernier party sur le pont du Titanic.
L'arrivée du numérique et l'omniprésence de géants aux moyens puissants et aux dents longues ont fait exploser notre écosystème. La SARTEC, l’AQTIS, l’ARRQ, et l’UDA ont présenté un mémoire conjoint au Comité Yale en janvier dernier. Les Coalitions pour la culture et les médias et pour la Diversité des expressions culturelles réclament d'une seule voix: IL Y A URGENCE D'AGIR.
Voici ce que nous demandons:
# 1 Que toutes les entreprises qui font affaire au Canada soient traitées avec équité au niveau fiscal et réglementaire. Des mesures intérimaires auraient pu être prises depuis longtemps. Pourtant les comités et les rapports se succèdent, bouffant du temps et de l'argent alors que perdure un statuquo mortifère.
- Ça veut dire bien sûr que toutes les plateformes qui offrent des productions audiovisuelles, soient taxées de manière équitable et contribuent à financer nos œuvres au moyen d'une redevance ;
- Ça veut dire que les fournisseurs de services internet, Videotron, Telus, Bell, contribuent eux aussi à financer les œuvres d'ici comme le fait le câble;
- Ça veut dire de faire en sorte que nos productions soient présentes - par des quotas de contenus -, découvrables et visibles. Que sur Netflix Canada ou Netflix Québec, les sacro-saints algorithmes proposent au public d'ici des produits qui leur ressemblent. Il n'y a aucune raison pour que ces géants soient exemptés d'obligations alors que la télé traditionnelle l'est.
#2 Deuxième grand enjeu: il faut, de manière urgente, sauver la production francophone alors qu'il en est encore temps.
Nous demandons que le déséquilibre français-anglais soit inversé. Une heure de télé destinée à CTV, tournée à Montréal, dispose d'un budget de 3 millions $ alors qu'une heure de télé francophone a entre 350 000$ et 600 000$.
Historiquement, les productions anglophones devaient se distinguer parmi la marée de productions américaines. Aujourd'hui, elles jouissent au contraire d'une immédiate possibilité de rayonnement international - ce qui n'est pas le cas pour nos productions francophones qu'on nous demande de vendre en « format » pour les exporter.
Ce manque de moyens fait que nos propres séries ont de plus en plus de difficulté à se distinguer et à conquérir le public d'ici.
Moi, on me demande si je peux écrire en anglais. Je dis non. On me demande si je veux écrire en français pour qu'on me traduise et qu'on me produise en anglais! Je n'aime pas ça.
#3 Troisième grand enjeu : Nous demandons que la Loi sur le droit d'auteur soit révisée en faveur des artistes qui voient leurs sources de revenus rétrécir comme peau de chagrin.
Il faut résister au grand mouvement utopiste de libre distribution, libre accessibilité, libre je sais pas quoi de « open source »... qui fantasme sur la libre circulation des idées, des découvertes et des œuvres.... Personne ne demande à Apple de donner ses ordinateurs ni à Telus d'abolir ses mensualités. Pourquoi le seul à donner le fruit de son travail serait l'artiste?
Nous demandons également que:
- la Loi cesse d'être criblée d’exceptions comme elle l'est depuis 2012 ;
- les productions audiovisuelles bénéficient elles aussi de leur accès à un régime moderne de copie privée comme ça existe en Europe ;
- les fournisseurs de service internet soient responsabilisés puisque ce sont eux qui disposent des outils nécessaires pour bloquer et empêcher le piratage massif de nos œuvres.
#4 Ultimement il faut CONTINUER à développer des publics.
En cette période où nos jeunes sont noyés dans une mer de possibilités, il faut plus que jamais qu'on investisse dans tout ce qui peut créer un lien d'appartenance entre eux et les artistes et les œuvres d'ici. Il en va de notre survie comme peuple et des valeurs de la société dans laquelle nous voulons vivre.
En 2003, un rapport intitulé Notre souveraineté culturelle, disait : « Si les Canadiens abandonnent la maîtrise sur ce qui correspond à notre souveraineté culturelle, nous ne pourrons jamais la retrouver. »