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La réouverture de l’ALENA menace-t-elle notre culture?

29 juin 2017
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Mathieu Plante

Le 6 juin dernier, le milieu culturel était convié à un événement spécial organisé par la Coalition pour la diversité culturelle et l’ADISQ à propos de la réouverture de l'ALENA. Depuis plusieurs décennies, diverses politiques culturelles, tant provinciales que fédérales (subventions, crédits d’impôt, cadre réglementaire, etc.) ont favorisé la création d’une forte industrie culturelle québécoise, autant dans l’audiovisuel et la musique que dans le secteur de l’édition. Ces politiques ont pu être mises en œuvre, malgré les accords de libre-échange, grâce à l’essentielle exemption culturelle, précieux garde-fou qui permet à nos gouvernements de favoriser la culture nationale. Or, la réouverture de l’ALENA, mise en branle par Donald Trump, qui inquiète considérablement les joueurs de la scène culturelle, menace-t-elle directement la culture québécoise?

Véronique Guèvremont, vice-doyenne de la Faculté de droit de l'Université Laval et titulaire de la Chaire UNESCO sur la diversité culturelle a lancé le bal en nous présentant une radiographie des accords de commerce. Depuis toujours, les objectifs généraux des accords de libre-échange sont fondés sur l’idéologie libérale, les principes de la libre concurrence et l’économie de marché basée sur la libre circulation des biens et services. Deux règles fondamentales sont en effet à la base dans tous ces accords : les pays signataires doivent faciliter l’entrée et la sortie des biens et services sur le territoire et éliminer toutes discriminations favorisant les produits locaux. Cette logique touche tous les aspects de l’économie… incluant normalement la culture.

Toutefois, lors de la négociation du premier accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis (ALE) en 1987, qui éliminait des droits de douane et réduisait de nombreuses barrières non tarifaires, le Canada a négocié une exemption culturelle générale, qui lui permettait de continuer à élaborer des politiques en soutien à sa culture. Le Canada a maintenu cette exemption lors de l’ALENA en 1992, même si le Mexique, nouveau signataire de l’accord, ne s’en est pas prévalu.

Mais au cours des années qui ont suivi la signature de l’ALENA, les choses ont commencé à mal tourner, et la reconnaissance du statut particulier de la culture a joué du YO-YO. En 1995, lors des discussions de l’Organisation mondiale du commerce, les défenseurs de l’exemption culturelle ont subi un premier revers. À l’OCDE en 1998, ce fut de nouveau l’échec dans un débat sur l’exemption (AMI). Mais en 2001, la Déclaration universelle sur la diversité culturelle de l’UNESCO et l’adoption subséquente, en 2005, de la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles a constitué un retour dans la bonne direction.

148 états ont alors voté en faveur de l’exemption culturelle et la nature particulière de la culture a été reconnue.

Mais dans les dernières années, la signature de deux nouveaux accords a réveillé de vieilles angoisses.

En 2016, lors des pourparlers sur l’Accord économique et commercial global (AECG) avec l’Europe, le Canada a privilégié une approche chapitre par chapitre, plutôt qu’une exemption culturelle générale.

Scénario semblable lors de la signature du maintenant défunt partenariat transpacifique (PTP). Une approche interprétée comme moins favorable et qui peut ouvrir des brèches lors de la renégociation de l’ALENA. En cette ère numérique, où la circulation des œuvres pose de nouveaux défis pour la culture nationale, les gouvernements auront-ils encore le loisir d’adopter les politiques nécessaires à sa protection?


La parole a ensuite été donnée à trois représentants du milieu culturel dans un débat animé par Alexandre Courteau. Quel rôle les politiques culturelles ont-elles joué dans l’évolution de leur secteur et l’importance de l’exemption culturelle?

Sylvie Lussier, présidente de la SARTEC de 2008 à 2014, nous rappelle que les volontés politiques de protection culturelle ne datent pas d’hier et ont toujours permis de protéger notre culture. Dès les années 1930, le Canada se dotait d’une société d’État (SRC) ainsi que d’un organisme de réglementation qui allait éventuellement devenir le CRTC, afin de nous préserver du géant américain.

« Sans ces mesures, notre industrie n’existerait tout simplement pas. Par exemple, depuis sa création il y a 50 ans, Téléfilm Canada a investi 3,3 milliards de dollars dans 6200 productions, dont 2000 longs métrages. »

Pour notre ancienne présidente, les choses ont commencé à mal tourner en 1999 lorsque le CRTC a pris la décision de ne pas encadrer le numérique. Et dans la dernière mouture des règles du CRTC, de nombreuses exigences en matière de contenu canadien ont été diminuées, ce qui n’augure rien de bien rassurant non plus.

Pour Pascal Assathiany, directeur général des Éditions du Boréal, l’industrie du livre a bien changé au fil des ans. Jusqu’aux années 1960, il n’y avait qu’une dizaine de libraires au Québec et encore moins d’éditeurs. C’était un marché envahi par les étrangers, notamment la Française Hachette qui achetait de nombreux éditeurs québécois. Tout a changé en 1981. La loi 51 sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre stipulait alors qu’à l’exception des manuels scolaires, les acheteurs institutionnels devaient se procurer tous leurs livres dans des librairies agréées sur leur territoire. La survie du secteur littéraire a donc été rendue possible pas l’encadrement gouvernemental qui a permis à la production québécoise d’occuper quelque 50 % de parts de marché. La renégociation de notre accord avec nos voisins du sud risque-t-elle de tout remettre en question?

« Si la réouverture de l’ALENA en vient à permettre aux librairies américaines de vendre des livres aux bibliothèques québécoises, ce serait catastrophique pour le livre d’ici. »

Solange Drouin, vice-présidente aux affaires publiques et directrice générale de l’ADISQ a poursuivi le portrait sous l’angle du milieu de la musique.

« Les quotas de musique en français à la radio, ça nous a beaucoup aidés. Les années 1990, par exemple, ont été des années fastes. Mais le numérique est venu tout bousculer. »

Depuis 2005, les parts de marché ont en effet diminué d’au moins 70 %.

« L’achat de musique par voie numérique augmentait, mais jamais assez pour essuyer les pertes encourues. »

Et depuis 2014, même les ventes numériques ont commencé à fléchir. Le point de bascule est désormais franchi. Mais les trois panellistes partagent le même avis : il n’est jamais trop tard pour réagir.

Le mot de la fin a été réservé à Raymond Bachand, conseiller stratégique chez Norton Rose Fulbright et conseiller spécial du gouvernement du Québec pour l’ALENA.

Tout a commencé avec l’immense surprise de l’élection de Donald Trump. Aucun parti politique canadien n’avait prévu renégocier l’ALENA dans un avenir rapproché. Mais tout va pourtant se jouer dans les prochains mois.

« Dans 90 jours, un mandat du congrès sera lancé et c’est seulement ensuite qu’on va entreprendre la renégociation de l’ALENA. C’est un processus qui prendra le temps que ça prendra. Pour l’instant, la culture n’est pas sur la table des négociations. Si les Américains n’abordent pas la question, on va laisser ça lettre morte. Ce sont les Américains qui sont en demande dans ce dossier. »

 

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