L'écriture et ses avatars...
Manon Vallée
Le 5 juin dernier, par une journée chaude et brillante comme un cadeau après une semaine de pluie, Le lien multimédia et la revue Qui fait quoi en collaboration avec l'ARRQ et la SARTEC nous conviaient à une rencontre avec trois auteurs, aux tempéraments, parcours et objectifs différents, mais qui partagent le même amour de l'écriture ainsi qu'avec un producteur et un réalisateur.
L'uberscénariste, appelé à écrire pour tous les formats et toutes les plateformes, d'accord, mais ici, nous revenons à l'essentiel, le « storytelling », l'histoire. Où trouver les idées? Qu'est-ce qui fait une bonne histoire?
Sylvie Lussier a posé la question tour à tour à Michel Marc Bouchard, Serge Boucher et André Dupuy et à Jacques Davidts.
Michel Marc Bouchard - « Je suis un scénariste-imposteur »
Michel Marc Bouchard se passe de présentation. Qui d'entre nous n'a pas vu une de 25 ses pièces ou un film adapté de ses pièces? Michel Marc Bouchard dit de lui qu'il est un scénariste-imposteur. L'écriture lui est advenue par accident parce qu'à l'époque où il a commencé à s'intéresser au théâtre, on faisait tout soi-même, avec sa gang. À 18-19 ans, sa rencontre avec l'écriture le mène à des études en dramaturgie.
MMB : Adapter est long et ardu. L'auteur perd son nom. On passe des Feluettes de Michel Marc Bouchard aux Feluettes du réalisateur. La collégialité du théâtre est remplacée par la complexité et la lourdeur du cinéma. Il y a un malentendu : le réalisateur signe l'œuvre d'un auteur vivant et présent. Ça demande diplomatie, collégialité et respect mutuel.
Lors de l'adaptation des Feluettes il y a 10 ans, il avait l'impression que lui-même n'avait pas le droit de briser ce qu'il avait écrit. Mais il a fallu faire des choix et briser pour reconstruire. Devant une adaptation de ses œuvres, Michel Marc se sent comme un « has-been of myself »...
Tom à la ferme est sa 7e adaptation. Cette fois, il voulait que Xavier Dolan, le réalisateur, la fasse lui-même. Finalement ils la font ensemble : Bouchard écrit et Dolan réagit. Le film du réalisateur prolonge l'histoire de l'auteur. Il aime que le réalisateur ait une prise de position forte. Michel Marc se considère d'abord et avant tout comme un homme de paroles, de mots. Il vient de l'oralité, et son médium est le verbe. Ses histoires lui viennent sous la forme de paroles. En viendra-t-il à penser en « cinéma »?
MMB : Il y a plus de liberté au cinéma qu'au théâtre. J'ai voulu 20 chevaux pour Christine de Suède. Au théâtre j'en aurai un, au cinéma, 20! J'aimerais faire un scénario, oui, mais modeste. Comme un film intimiste ou un docufiction sur Louis Hémon ou Arthur Villeneuve.
Questions du public.
Q : Ton théâtre mis en scène dans d'autres pays, d'autres cultures, est-il adapté?
MMB : Non, le théâtre ne s'adapte pas. En Corée, les Feluettes se passent aussi à Roberval. Ça reste la pièce originale, mais dans une autre langue. Par exemple à Paris en 1995, les Muses orphelines duraient 1 h 5 min. À Düsseldorf, la pièce a duré 2 h 45. Ce sont des formes de raconter différentes. Ce qui tient, c'est l'histoire. Je suis un passeur d'histoires.
Q : Les dialogues sur scène sont différents de ceux au cinéma. Comment passes-tu de l'un à l'autre?
MMB : Certaines œuvres au cinéma sont lyriques comme Nuit #1 ou Ridicules. Mais en approche réaliste la réplique trop construite, flamboyante qui est quand même le propre du théâtre sonne faux au cinéma. Il faut avoir un respect fondamental pour le style, se demander qui parle.
Pour Tom à la ferme, que Xavier Dolan réalise, il a fallu quand même présenter un scénario aux institutions. Le synopsis...! Le synopsis est le plus grand arrachage de dents qu'il n'y a pas au monde!! (Assentiment général de l'auditoire...)
Avec Tom, j'envoie un premier scénario à Dolan qui ensuite travaille à partir de ça. Il me le renvoie. Au Québec et au Canada, on travaille encore en collégialité. Je travaille présentement avec Mika Kaurismäki et c'est une autre école. Mika est laconique dans ses notes. Il me fait rencontrer les acteurs principaux pour qu'ils me parlent de leurs personnages. Chaque réalisateur a sa façon de travailler, chaque tournage est un prolongement.
Q : Toutes les œuvres sont-elles adaptables?
MMB : Non. Le chemin des passes dangereuses, la pièce est construite comme les tonneaux que fait le père durant un accident mortel. L'adaptation qu'on me proposait était dénaturée. Je ne l'ai pas faite. Par contre, pour Histoire de l'oie, j'ai avoué la narration. C'est l'adaptation la plus facile que j'ai faite.
Sylvie : Aurais-tu envie d'autre chose, d'un roman, d'une série?
MMB : La télévision m'effraie, je ne pourrais pas, je n'ai pas cette culture, pas cette discipline, je ne suis pas attiré. Ça me prend 2 ans pour écrire une pièce de 2 heures! Je ne suis pas capable, une pub en plein milieu de mon affaire. Un roman, oui... J'ai un scénario, Christine de Suède, c'est assez pervers parce que la pièce sera au TNM à l'automne. Ce sont 2 objets complètement différents. J'écris en français et le film est traduit en anglais. Le scénario est en cours de correction et en même temps, j'écris la pièce. L'un nourrit l'autre.
Sylvie : Et je jeu vidéo?!
MMB : (Riant) Pas encore...
Q : Cinéma, théâtre, où est ton plaisir?
MMB : La musicalité au théâtre m'attire, le côté symphonique qui mène à l'évocation. Le cinéma, c'est davantage chair et corps. Le rapport à l'espace et à la distance est différent. Le vicieux au cinéma, c'est la caméra alors qu'au théâtre, le vicieux c'est la parole. Au départ, Christine de Suède est un personnage très documenté. J'ai lu les 12 biographies, j'ai voulu être respectueux de la chronologie. « Boring »! Il a fallu que je reconstruise tout d'une façon dramatique, mettre tout ça de côté tout ça pour construire un scénario. Je suis un écrivain de théâtre, je suis un scénariste-imposteur. Écrire du théâtre, c'est ce que je sais faire.
Q : Seriez-vous capable d'écrire un scénario sans paroles?
MMB : Oui, d'ailleurs je coupe beaucoup en me relisant. Dans Tom à la ferme, le discours de Tom est coupé. Ce qu'il ne dit pas dans le discours est tricoté dans le film.
Sylvie : Qu'est-ce qui fait une vraie bonne histoire? Pourquoi choisir tel ou tel sujet? Qu'est-ce qui fera une pièce qui tiendra la route?
MMB : J'aimerais ça savoir la réponse! Ce qui fait une bonne histoire c'est de la raconter dans des ateliers, la dire aux autres, la faire lire à des lecteurs critiques. Ce que tu proposes dans les 15 premières minutes est un ticket au voyage. Ne lâche pas ton voyageur! On a 15 minutes pour susciter la curiosité. Une bonne histoire est celle qui m'intrigue, qui me donne envie d'y travailler tous les jours. Je ne fabrique pas je n'ai pas de méthode.
Benoît Dubois, de la direction pédagogique du Projet Columbus : On dit que les auteurs racontent toujours la même histoire.
MMB : On doit accepter nos fixations et nos lubies et accepter qu'on raconte toujours la même chose. Les critiques peuvent parfois être percutantes et m'en apprendre sur moi.
Q : Les personnages principaux changent-ils lors du passage du théâtre au cinéma?
MMB : Très peu. Ce sont les personnages secondaires qui changent le plus. Leur nombre augmente. Tu peux créer toute une société autour des personnages.
De la langue et du niveau à employer, Michel Marc dira qu'avant c'était une force et que maintenant c'est une fatalité. Dans quelle langue écrivons-nous? Français québécois, joual, français de France? Il faut se poser la question. Encore là ça dépend du personnage. A-t-il étudié chez les Jésuites?...
Q : T'impliques-tu dans le tournage?
MMB : Pour Tom, non, mais je vais en salle de montage parce qu'on me l'a demandé.
Sylvie : Un conseil final?
MMB : Pour réussir une bonne adaptation, il ne faut pas prendre toute l'œuvre. On ne peut pas la reproduite telle quelle. Peut-être un chapitre, mais pas tout le roman.
Adapter, c'est trahir.
Serge Boucher - « Il faut du temps »
On connaît bien les œuvres théâtrales de Serge Boucher (Motel Hélène, 24 poses) et ses séries Aveux et Apparences, mais on connaît moins l'homme. On découvre un homme charmant, nerveux et centré, drôle malgré lui.
Serge Boucher est accompagné de son producteur chez Pixcom, André Dupuy. Sylvie Lussier les questionne.
Sylvie Lussier : Comment as-tu commencé à faire de l'adaptation?
Serge Boucher : Je me suis adapté en devenant auteur de télé! J'ai commencé avec l'adaptation de 24 poses. Pixcom en avait fait la captation et avec la productrice, Claudette Viau, j'ai eu le goût d'écrire le passé et le futur de la pièce. Ça n'a pas marché, je ne savais pas quoi faire. Alors j'ai dit : Non j'arrête. Depuis 10 ans, je dis non à la télé. Ça ne faisait pas partie d'un plan de carrière. J'ai attendu la bonne affaire. Je dis souvent non... Ça me trottait dans la tête, c'est un rêve de ti-cul alors qu'enfant, j'écoutais Rue des Pignons. Puis j'ai écrit une page que j'ai fait lire à Claudette Viau.
Ça a donné Aveux. Après il y a eu Apparences et maintenant il travaille sur Autopsies. André Dupuy raconte qu'Aveux a commencé sans lui chez Pixcom. Il est arrivé plus tard dans le projet et il a ensuite repris le rôle de producteur. Aveux n'est pas de la télé conventionnelle. André raconte qu'il y va par couche dans le choix des projets qu'il produit. Il faut d'abord que l'histoire vienne le chercher. Ensuite, ça doit être corroboré par d'autres. Il dit ne rien faire de magique, il aimait ce qu'il a lu...
SB : Il fallait qu'il soit patient avec moi. L'écriture m'a appris être patient, la télé aussi. Ça a pris 5 ans faire Aveux! Je ne ferais plus jamais ça. La patiente en télé est une qualité que je n'avais pas. Ça m'a pris un an et demi écrire une bible! Après le troisième épisode, j'ai failli tout lâcher.
SL : Et Apparences?
SB : Ça a pris moins de temps, mais ce fut aussi difficile. Écrire est un plaisir, mais là, je ne connaissais pas le médium. Je le connais pas plus, même avec Autopsies...
Serge puise une force dans l'ignorance de ne pas avoir comment faire.
AD : C'est toujours nouveau, les spécialités demandées à chaque projet, le sujet traité, la chimie entre les individus, le « timing », on est toujours nouveaux et c'est tant mieux comme ça. Aveux et Apparences sont peut-être écrites par un petit nouveau, mais cet effet-là de se demander comment le faire fait que c'est différent.
Serge ajoute qu'il est très fier du résultat, il est toujours fier de ce qu'il fait, fier d'avoir pris le temps. Il ne s'implique pas dans la production, il abandonne. Il participe au casting et aux premières rencontres, mais quand ça part... Au théâtre, ses pièces ont toutes été créées par René Richard Cyr. Il lui a laissé son espace de création. Il ajoute que la télé, le cinéma, c'est un gros bateau qu'il faut laisser partir.
SL : Est-ce une écriture différente la télé et le théâtre?
SB : Aveux est né comme une série, ce n'est pas du théâtre. Quand j'écris du théâtre, je suis plus portraitiste. La télé me permettait d'élargir, de faire des sagas, d'aller dehors. Et d'ouvrir plus. Mais le moteur est le même. Je ne voulais pas que ma venue à la télé soit vue comme une erreur de parcours. Je voulais être dans la continuité de ce que je fais. J'ai cru pouvoir continuer à la télé à faire ce que je faisais, un théâtre du non-dit. J'ai boqué longtemps, comme ça se peut pas. La télé est un médium du dit, je dois développer un récit. La grande différence c'est d'avoir du souffle. 12 épisodes c'est presque 10 pièces!
SL : Tu pars beaucoup des personnages, au théâtre comme à la télévision.
SB : Oui, une de mes grandes forces c'est les personnages, l'humain qui se cache derrière les personnages, le vrai monde. L'hyperréalisme au théâtre demande de changer de point de vue à cause de la caméra qui est déjà hyperréaliste. Mais j'ai un réel souci d'ancrer les personnages, qu'on me dise qu'ils sont du vrai monde.
SL : Comment as-tu choisi le réalisateur qui allait pouvoir rendre ce monde?
AD : Un moment donné, on connaît notre monde. Le traitement de Serge amène à choisir un réalisateur qui a cette sensibilité. La nature première c'est qui est proche de ces sensibilités humaines ? C'est une base importante. Claude Desrosiers et Francis Leclerc pouvaient lire ce non-dit de Serge.
SL : Comment considères-tu ton écriture télévisuelle... pas avant-gardiste, mais...?
SB : Je n'ai pas de regard sur mon travail à la télé, mais j'en ai sur mes pièces. Aveux et Apparences, je ne suis pas capable de dire si j'aurais écouté ça. J'avais du plaisir à développer le récit et les personnages. Avant-gardiste, non pour moi c'est fort! J'essaie de plaire à mon premier lecteur, dans ce cas André Dupuy. Avec André, on est très proches, j'ai besoin qu'on ne me laisse pas aller, j'ai besoin d'encadrement. C'est un métier de « timing » et choisir les bonnes personnes. J'ai cette chance-là. Sans ces personnes, j'aurais débarqué.
À la télé, il ne regarde pas beaucoup de choses. Il considère que c'est un drôle de phénomène de s'asseoir pour regarder un écran, de s'assoir sur le divan... Il faut qu'on lui conseille des séries à regarder. Par contre, il se définit comme un amoureux du théâtre. Quand le noir se fait, il a toujours cette impression que quelque chose va peut-être changer sa vie.
SL : Penses-tu au cinéma? Tu as un producteur polyvalent.
SB: Oouui... Mais j'attends d'avoir envie. Quelque chose me fait peur du cinéma, je sais pas quoi. Mais ça va arriver. J'ai toujours fonctionné comme ça. Je ne suis pas à multiples tiroirs. Je fais un projet et ça me prend tout. Il faut que j'aie du temps, que j'aille marcher ou je capote.
(André confirme que c'est une discussion qui est en cours...)
Q : Accepteriez-vous des commandes à partir d'une époque ou d'un personnage?
SB : Non. J'ai des propositions, mais je dis non. Je suis pas assez polyvalent. J'ai pas ce talent. Il faut que ce soit épidermique. Si quelqu'un veut adapter une de mes pièces, oui, appelez! Mais je ne me verrais pas travailler là-dessus. Ce qui est fait est fait.
Sur Aveux et Apparences, le long haleine apporte d'heureuses surprises qui se présentent en cour d'écriture. Toutes les solutions sont là, on a déjà tout semé et quand on est perdu, ça revient. Ce que j'adore c'est quand tu découvres l'autre couche, mais pour ça, il faut avoir du temps. En plus, comme je sais qu'il n'y aura pas de 2e saison, j'ai pas à me garder des réservés, je ne ménage pas mes effets.
AD : On avait un grand amour pour ce projet. On a pensé faire une deuxième saison, Serge a développé des trames. Au départ, il devait y avoir 9 épisodes, mais c'est un format bâtard alors on a décidé de faire 10 épisodes sur une saison.
SB : 10, c'est ben assez! Moi je m'investis dans une idée, un projet naissant, je le sais que je vais l'écrire, mais c'est une affaire de ventre. Quand je suis sûr, je pars. Ma certitude est au niveau de mon ventre.
Q : Travaillerais-tu avec d'autres auteurs?
SB : Ça, c'est nouveau dans ma tête, peut-être, diriger un projet à moi, mais moi, les histoires de saison, je suis pas capable. J'admire ceux qui le font. Si j'avais une idée comme ça, ça m'emmènerait à ma retraite, ce serait bien!
AD : Les Bibles, ça se fait de moins en moins. Si le diffuseur ne connaît pas l'auteur, il peut demander une bible. Ils préfèrent maintenant les documents de 20 pages.
SB : Aveux, j'ai tout fait les étapes, mais ça été long en ciboulot. Mais j'étais étonné à la fin de voir comment c'était fidèle au canevas. On ne connaît pas la recette, tout est toujours à refaire, pas deux projets ne sont pareils. Mais c'est sûr que maintenant, on me dit oui plus facilement parce que j'ai un nom.
Q : Comment gères-tu les notes du diffuseur?
SB : Moi je fais affaire avec André. Il est aussi mon conseiller. Moi tu me mets le moins de monde possible, je ne fais pas une création collective! Je fonctionne 1 à 1. Un party, c'est 3 personnes et c'est un gros party! André fait affaire avec la SRC et il revient avec les notes. Aveux a été long à écrire, mais j'ai eu peu de notes par la suite. À la base, j'aime tout le monde et je considère tout le monde comme un ami.
AD : C'est vrai, on est chanceux ici. Les gens sont impliqués et veulent que ça marche. On peut discuter, on avance.
SB : Il y a place à l'ouverture. Il faut écouter, saisir le commentaire, accueillir ce qui est mieux, les gens travaillent pour nous, pour que je sois le meilleur possible.
AD : On peut penser à l'argent, et au succès. C'est un choix. Mais si je fais ça, je suis moins bon et je vais durer moins longtemps. Par rapport au Web, je trouve que c'est un outil qu'on nous rentre de force. On est obligés de faire des sites web, mais ce n'est pas là que l'argent doit aller. Je suis ouvert à ça si on y raconte de bonnes histoires
Benoît : Quand tu as commencé à écrire pour la télé, qu'est-ce que tu as appris?
SB : C'est trop comme question. Je vais dévier. Il faut s'écouter, travailler avec les bonnes personnes. André peut tout remettre en question, je me sens pas démotivé. On ne me dit pas quoi faire, c'est la pire des choses ça. Ceux qui ont leur idée et qui disent : C'est comme ça, moi j'éviterais, ça. Ce n'est pas tout le monde qui est fait pour travailler avec les auteurs, d'entrer dans leur tête. Quelqu'un qui dit aussi : Tu as probablement raison, mais moi je te le dirai pas. À parti de là, tu peux pas... En télé plus qu'au théâtre, j'ai besoin qu'on y croit plus que moi. J'ai perdu beaucoup de temps à me juger. J'ai dû arrêter de me regarder écrire. Je n'ai aucune relation avec l'audience. Sinon une bonne pièce, une bonne série, ça s'adresse à tout le monde. J'ai quelque chose de populaire et c'est tant mieux. Je fais beaucoup confiance au public, les gens sont capables d'en prendre.
Q : Comment vis-tu le passage de ton bébé au réalisateur?
SB : Ça fait partie de l'art d'abandonner et de faire confiance. J'ai écrit Aveux sans voir d'images. Apparences, je voyais un peu plus, mais je ne serais pas réalisateur. J'entends plus que je vois. J'avais peur d'une chose. Que ça sonne comme au théâtre. Si j'ai appris quelque chose sur le plateau la première fois, c'est à doser le texte et à comprendre le ballet des déplacements. Ça m'a calmé.
Jacques Davidts - Le porteur de vision
Jacques Davidts est l'auteur des Parents. Il nous explique son passage de la publicité où il a travaillé pendant 20 ans à la scénarisation et à la création d'un format.
Jacques Davidts : Les 2 mondes sont étrangers un à l'autre. En pub, ça va vite, en scénarisation c'est long. En pub, pas de chicane de contrat parce que pas de propriété individuelle, en scénarisation, oui. La pub est une merveilleuse école : tu apprends à travailler vite et à détecter l'air du temps. J'ai arrêté la pub, je me souviens j'étais en réunion avec un gros client. Tout d'un coup j'ai eu en ras-le-bol, je me suis levé et je suis sorti fumer une cigarette. Bon qu'est-ce que je fais maintenant? J'avais le goût d'écrire. On m'a appelé pur écrire une émission jeunesse. Puis j'ai fait un docufiction. À la première mauvaise critique, j'ai découvert que j'étais insensible à la critique. Et c'est une bonne chose. En fait, ça ne me concerne plus. Ils parlent de ce qu'ils voient et ça, c'est la réalisation.
Je cherchais quelque chose à écrire. Je voulais faire un succès. J'avais travaillé sur Un gars, une fille et je m'en suis inspiré pour créer un format : Les Parent. Pourquoi ça marche? C'est une idée originale, c'est de l'autofiction, c'est chez nous, Anne Dorval, c'est ma blonde en brune, et la maison est pareille. Comme c'est très personnel, ça rejoint plein de monde.
Le projet a pourtant failli lui échapper contrats parlant, mais il s'est battu.
JD : je pense que dans tous les projets il y a un porteur de vision et c'est la personne à suivre. Dans le cas de Parents, c'est moi. Et j'en revendique la paternité. Les Parent est universel parce que la famille l'est, comme les amoureux d'Un gars, une fille.
Jacques dit ne pas avoir de méthode. Il raconte simplement ce qu'il se passait à la maison en ajoutant de l'humour. La richesse des personnages est importante; dans Les Parent, ils sont beaux, riches et uniques, ils sont donc vivants et ça amène l'universalité. Combiné à une bonne exécution, avec le bon « casting » et le bon producteur, ça marche.
Le format des Parent a fait de nombreux petits. La série a été vendue en Espagne, Grèce, Pologne, Russie, Chine, au Liban, etc. LA crise économique nous est cependant rentrée dedans. En Grèce, tout est arrêté. En France, la série est diffusée telle quelle et doublée par des acteurs français. Il a un droit de regard, mais il « ne regarde pas ».
Le format Les Parent
En France, ils aiment et utilisent une version courte des Parent. Il savait que ça leur plairait ainsi connaissant la France. Écrire des sketches de 30 ou 60 secondes c'est facile pour lui. La pub l'a aidé. 2 minutes, c'est très long. La première année fut facile et naturelle, ensuite il a inventé une structure : une semaine normale sur trois jours de façon à faire un ordre chronologique. Impossible d'avoir 3 scènes de déjeuner en file. Les gens ne savent pas que ce sont des sketches, ils pensent que c'est en continu.
Le format est malléable pour faire long ou court. Ils ont 1000 sketches qui totalisent autour de 40 heures de télé. On peut couper où on veut, garder ce qu'on veut. Les personnages n'évoluent pas, il n'y a d'évolutif que l'âge des garçons. Le moteur de tous les sketches est l'éducation des enfants. Il n'y a aucun sketch de couple. Sauf un, au cas où un jour ils feraient un Tous pour un avec Les Parent!
Sylvie Lussier : Les problématiques varient avec l'âge des garçons.
JD : Les problèmes du premier deviennent plus tard les problèmes du plus jeune. Les diffuseurs peuvent bouger tout ça. Il y a un peu de marge, Zac aura 11 ans et c'était l'âge du plus vieux au début. C'est ça le format. Il change selon les pays. Ça peut être packagé en groupe de 10, 30, 60 ou 90 sketches. Par exemple, en Chine, ils ont droit d'avoir un seul enfant alors on a adapté l'histoire avec des parents séparés, remariés et des familles reconstituées.
Concernant la façon de vendre le format, les acheteurs doivent acheter 75 % des textes originaux. La deuxième année. 50%, ainsi de suite. Le reste est écrit par des auteurs locaux dont ils peuvent par la suite acheter le matériel. En termes de droits de suite, c'est intéressant pour tous auteurs de partout qui participent aux Parent.
Jacques commence à regarder du côté anglais, Canadiens anglais, Britanniques, Australiens. Il cherche une façon de les intégrer dès le début et déplore qu'on ne fasse pas suffisamment de démarches d'intégration auprès des Canadiens anglais.
JD : D'ailleurs, maintenant en 2012 tous les auteurs devraient être producteurs exécutifs. Quand tu démarres un projet, il faut que tu aies as un droit de regard et un droit exécutif sur ton truc à toi. Parce que tu es tout le temps 2-3 coches en avant de tout monde.
S'ensuit une discussion sur les définitions des tâches et des titres que Jacques conclut :
JD : Je ne suis pas un showrunner. Le showrunner arrive quand il y a de multiples réalisateurs sur un même projet. Moi, je veux être sur le plateau. Je veux être le gardien de la cohérence des textes et du contenu visuel. Je ne suis pas un auteur, Serge est un auteur. Je suis scénariste. J'ai un produit à vendre où il y plein de scénaristes et de réalisateurs. En fait, nous sommes aux confins de deux cultures et de deux façons de faire. Nous devons développer de nouveaux modèles. La question essentielle est : Qui est le porteur de vision ?
Il a un auteur qui fait de nombreux épisodes au complet, Jean-François Léger (Catherine). Il le laisse aller. La script-éditrice assure la cohérence. Il ne retouche pas les textes de Jean-François, mais ceux des autres auteurs, oui.
JD : Je suis content du titre, du jeu de mots Les Parent. Tant que je n'ai pas le titre, ça ne fonctionne pas. Le titre est une promesse. Il m'apporte le reste.
Questionné sur les multiplateformes Jacques Davidts répond qu'il ferait quelque chose sur le Web qui serait indépendant de la série.
JD : J'ai pensé à faire Les Parent uniquement sur le Web, la deuxième année. C'est compliqué parce qu'on ne regarde pas de la même manière de la télé ou du Web ou ce qu'on regarde sur un téléphone mobile. Et ça n'a rien à voir avec la grosseur de l'écran. C'est une expérience de visionnement différente. Prenons la série Web Bref. Ça pourrait très bien vivre à la télévision, en regroupant des sketches. Il y a un ton qui appartient à la plateforme mobile qu'on n'a pas à la télé. Un jour ça va finir par se confondre. Si on a un produit réfléchi pour la télévision, ce n'est pas automatiquement adaptable. Il faut y réfléchir. On peut vivre sur le Web plus facilement. Si je recommençais Les Parent, je me poserais beaucoup de questions. J'irais peut-être sur le Web. Le risque est plus élevé mais les bénéfices aussi, si ça marche. Tu peux perdre ta chemise. Si j'étais convaincu, je mettrais ma maison.
Les Parent, c'est Quelle famille des années 2010. Ce n'est pas très éloigné. Les Parent ce sera complètement ringard dans 20 ans. Le moderniste change en fonction de l'époque.
L'après-midi s'ouvre sur un panel sur l'adaptation où notre collègue Geneviève Lefebvre agit de modératrice en compagnie de nos trois auteurs du matin auxquels s'ajoute le réalisateur Michel Poulette. Le producteur André Dupuy a quitté.
Difficile tâche que de faire parler d'adaptation des auteurs qui n'en ont pas fait! Ou si peu. Mais Geneviève oriente habilement la conversation sur ce qui leur tient à cœur et...
Michel Poulette ouvre la session en parlant de l'adaptation du roman Maïna de Dominique Demers sur lequel il travaille. Il s'est assuré de rencontrer l'auteur et de lui expliquer ses intentions pour éviter les mauvaises surprises en fin de compte. Il ne quitte pas l'auteur tant que celle-ci n'a pas entièrement saisi ses intentions. Maïna aurait pu être déclinable en série, mais avec le producteur, ils ont décidé d'écrire un film.
Michel Poulette : J'ai beaucoup travaillé sur la structure en utilisant les deux petits romans. On a une rencontre avec Dominique Demers puis elle a lu et réagi au scénario de Pierre Billon. Mais, il faut comprendre que c'est la première version et qu'il faut donner du temps à l'adaptateur de peaufiner.
J'ai travaillé sur une structure d'opérationnalisation par objectif. Je résumais la scène et j'en résumais l'objectif. Toul au long de l'écriture on a procédé comme ça. Par petits carrés
Geneviève demande à Jacques Davidts de parler de Polytechnique.
Jacques Davidts : Prendre la vie pour écrire n'est pas de l'adaptation. La véritable adaptation commence quand le projet (Les Parents) est repris dans d'autres pays avec leur réalité inconnue. Il faut alors laisser aller. Si moi j'adaptais une pièce de Serge au cinéma, il faudrait que la parole revienne à l'adaptateur sur le plan de l'adaptation. La forme appartient à l'adaptateur alors que le fond reste à l'auteur.
Serge Boucher : Le réalisateur ne joue pas dans mes affaires, moi. J'abandonne, mais il y a des limites... C'est sûr que Molière n'est pas dérangeant pour un metteur en scène! Je me mêle de rien après le casting. Je trouverais fatigant qu'on soit avec moi dans mon bureau quand j'écris alors c'est pareil pour le réalisateur ou metteur en scène. Pendant Apparences, Francis (Leclerc) m'a suggéré un truc, et j'étais assez intelligent pour comprendre que sa proposition était plus forte que ce que j'avais écrit.
MP : Dans Urgences, des mois avant le tournage, j'ai eu les plans du décor. J'ai pu alors tout décider à l'avance. Aujourd'hui, les réalisateurs ne parlent plus aux diffuseurs comme avant, c'est le rôle du producteur.
JD : Ils ne parlent pas aux adaptateurs non plus! J'essaie de me retenir de ne pas leur dire quoi faire avec Les Parent. On m'écoute, alors ça va. Mon plaisir, c'est l'écriture. Ça m'intéresse pas vraiment d'aller sur le plateau ou en salle de montage. Je veux juste qu'on m'aime. Que les acteurs et le réalisateur me disent que c'est bien et je peux retourner m'enfermer.
Geneviève : Une consigne aux adaptateurs?
JD : Oui. Dans le scénario, je mets une intrigue qui ne sert à rien et qui coûte cher à réaliser! Ainsi, ils la coupent et leur envie de couper est satisfaite. Aux adaptateurs des Parent dans les autres pays, on leur dit que les enfants sont le moteur de l'action. C'est un guide clair.
SB : Moi, je sais que je ne sais pas faire ça et je n'adapte pas les autres. Parfois je lis quelque chose et je me dis : ça ferait un bon film. Alors je le dis à quelqu'un. Après avoir lu RU j'ai pensé : Quel beau film ça ferait, et j'aimerais le faire, mais j'ai pas le talent pour ça. Je l'ai dit à André (Dupuy) et il a acheté les droits (ce qu'André confirme.) Je suis un bon auteur, mais pas pour ça. Par exemple, Incendies est magistral parce que Denis Villeneuve s'est approprié la pièce. Il a fait un film. Mes pièces son étudiées au cégep. C'est le fun, ça circule. Comme pour Les belles-sœurs, le musical, c'est magnifique. C'est la pièce qui est le grand gagnant.
Geneviève : Jacques, aimerais-tu adapter?
JD : J'aimerais adapter n'importe quoi pour le cinéma, mais je suis paresseux. Si tu me donnes une histoire à adapter, là quel cadeau, c'est reposant. Moi je suis plus technique, plus terre à terre. Le champ est clôturé, et tu joues dedans, le champ est magnifique. Je voudrais adapter Petits meurtres entre amis. J'essaie d'avoir les droits. Si j'ai le début et la fin, j'ai une histoire. Quand tu adaptes, cette partie est faite.
MP : C'est pour ça que j'adapte, parce qu'on a déjà les prémices. Quand les Américains ont refait Louis 19, ils se sont plantés, car il y a ici une question d'attitude. Le héros est volontaire, il veut être filmé, tout le contraire du Truman Show où il ne le sait pas. Ils n'ont pas respecté cette différence et ça a joué contre le film.
GL : On parle donc du respect des valeurs culturelles.
MP : Moi je dis qu'il faut laisser aller. S'adapter.
Serge Boucher répond à la question de Geneviève sur la possibilité ou non de doublage si Apparences était diffusé en France.
SB : Je me questionne, mais je vois mal Alexis Martin parler pointu. Je trouverais ça étrange.
Benoît : La question à se poser est doit-on exporter sa culture telle quelle ou l'adapter?
SB : Ça dépend du sujet
GL : Ça dépend du ressort dramatique. Dans le film Adaptation, le scénariste invente une nouvelle ligne dramatique à son adaptation. Jusqu'où peut-on se permettre d'aller?
MP : Je peux pas partir avec un roman. Je parle avec l'auteur et on s'entend sur où on veut aller.
JD : Quand j'aurai les droits d'auteur de Petits meurtres, j'inventerai des trucs s'il le faut, mais je pense que tout est dans le roman. Il y a un scénario, un séquencier, il reste des trous à remplir. Beaucoup de choses sont dites et sont inutiles à mettre dans le film. Beaucoup d'actions doivent être ajoutées dans le film qui ne sont pas dans le roman.
GL : Écririez-vous autre chose, d'autres formats?
JD : Je suis étonné par l'écriture théâtrale. J'aimerais écrire une pièce parce que je trouve qu'il y a plus de liberté qu'en scénarisation. (Michel Marc Bouchard lui, a dit exactement l'inverse en matinée. Amusant...)
MP : Moi, j'écrirais un scénario avec une autre personne. J'aimerais ça.
GL : Avez-vous déjà été surpris?
SB : J'ai pas eu de chocs à la vue de mes deux séries. Faut dire qu'il n'y avait rien de drôle là-dedans! Le choc, c'est parfois par rapport à des visions différentes. Mais si tu abandonnes, tu n'abandonnes pas à moitié! Ce que je demande c'est qu'il y ait une logique dans tout ça.
MP : la réalité du réalisateur c'est : « Il reste 10 minutes » ... Si quelque chose casse, c'est du temps de réalisation de perdu. Il m'est arrivé de tourner une scène dans les temps compris entre deux feux de circulation pour ne pas entendre le bruit des voiturés.
GL : Et les coupures?
MP : Couper au niveau du financement ça veut dire couper dans la structure dramatique de l'œuvre. II faut faire un pitch à l'auteur et lui expliquer qu'on ne peut pas faire tout le livre. Par exemple, le réalisateur de Shogun a enlevé les pages directement dans le livre et l'a remis à l'auteur : « C'est ça que je vais tourner. »
JD : Un vieil appartement, ça me fait rêver parce que je vois les possibilités. Le type qui voit juste le taudis, je veux pas que ce soit lui qui coupe! Je mets au contrat que je conserve l'intégrité de l'écriture. Ils n'ont pas le droit de changer le texte. Comment savoir où couper? Ce qui coûte le plus cher, tourner peut souvent être replacé ailleurs.
SB : Pour Aveux, j'avais écrit 12 textes avant le tournage. Claude (Desrosiers) a eu du temps pour lire et pour comprendre. Savoir lire est un art. Pour Apparences, Francis est arrivé vers la fin. Sur Apparences, j'ai fait des demandes au montage. On a corrigé des choses mineures. C'est pas écrit sur le coin de la table alors il faut s'appeler si tu veux couper ou échanger quelque chose. Je veux qu'on m'aime alors je suis conciliant, mais quand on est sûr, on a intérêt à dire non. On est les premiers à savoir ce qu'on a écrit.
Il m'est arrivé d'exiger qu'on remette une scène manquante au montage. J'ai exigé de voir les rushs, et non, ce n'est pas une scène de liaison. J'en fais pas. On l'a remise. J'ai appris beaucoup dans le processus du montage. Quand quelqu'un sait lire, ça m'est arrivé que des choses que j'ai écrites soient portées, amenées au moins trois coches au-dessus de ce que j'avais écrit.
GL : Êtes-vous d'accord pour dire que le mot de la fin c'est : on s'adapte?
SB : Oui, mais pas trop!