Rire jaune et voir rouge
Mathieu Plante
Il y a quatre ans, quand nous avons eu vent pour la première fois du projet de loi C-317, un mélange d'incrédulité et de colère a balayé la salle où nous tenons nos réunions du conseil d'administration de la SARTEC. Ben voyons donc! Une législation qui forcerait tous les syndicats à rendre publics leurs états financiers (salaires, revenus et dépenses), mais sans imposer la même exigence à la partie patronale? Par exemple, l'Association des joueurs de la Ligue nationale de hockey se verrait imposer ces nouvelles règles, mais pas les propriétaires de clubs. L'absurdité de la chose nous a jeté en bas de nos chaises. La SARTEC divulgue évidemment l'état de ses finances à ses membres, mais à tout un chacun?!? Jamais une loi aussi aberrante ne pourrait être votée, se disait-on à l'époque, en étouffant quelques fous rires. Et pourtant, on rit jaune aujourd'hui...
Sur son site internet, le député conservateur d’arrière-ban Russ Hiebert explique son projet de loi comme suit:
« L’objectif de mon projet de loi est d’accroître la transparence et la responsabilisation dans un autre groupe d’institutions publiques, à savoir les syndicats. En vertu de ce projet de loi, chaque syndicat au Canada sera tenu de produire une série standard d’états financiers chaque année. Les détails de ces états seront publiés dans un site Web public, pour que les Canadiens puissent en prendre connaissance. Le public sera en mesure d’évaluer l’efficacité, l’intégrité financière et la santé des syndicats au Canada. »
En 2011, le projet a été jugé irrecevable, à cause entre autres de l'obligation faite aux employés des syndicats concernés de divulguer leurs adresses personnelles. Mais après plusieurs amendements, le projet est revenu au-devant de la scène, désormais baptisé C-377, a été adopté au sénat en juin dernier peu avant la dissolution de la chambre et sera en vigueur dès cet automne. Les renseignements financiers détaillés deviendraient accessibles à la population sur le site de l’Agence du revenu du Canada. La loi C-377 obligerait les syndicats à dévoiler toute dépense de plus de 5 000$ et tout salaire de plus de 100 000$ et ceux qui refuseraient de se soumettre se verraient imposer une amende de 1 000 $ par jour.
Cette loi absurde menace de planter de nombreuses épines sous les pieds de la SARTEC. Lors de nos prochaines rondes de négociations, les parties adverses pourraient avoir accès en détail à nos états financiers, et par ce fait être mieux à même de juger si nous avons les reins assez solides pour nous aventurer, par exemple, dans de couteuses procédures arbitrales advenant un bris des négociations. Les boîtes de production et les diffuseurs ne sont pas tenus, eux, de révéler quoi que ce soit. Deux poids, deux mesures. À moins que le gouvernement soit défait cet automne ou que les tribunaux jugent le projet inacceptable et le fassent mourir dans l'œuf, on n'est pas sorti du bois.
En s'attaquant uniquement aux possibles dérapages des associations de travailleurs, sans embêter le moins du monde les entreprises privées et les associations patronales, le gouvernement fédéral s'acharne de façon arbitraire et tendancieuse à la liberté d’association. A-t-on oublié que les syndicats ont été le principal outil d'avancement des travailleurs depuis plus d'un siècle?