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Dominique Chartrand

La vie des autres... …ou comment écrire un biopic en 8 étapes difficiles

12 octobre 2013
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Bloc texte

Geneviève Lefebvre

 

Ça va comme suit. Un producteur vous téléphone, et après les circonvolutions d’usage, il vous balance le sujet qu’il veut porter à l’écran.

Ce n’est pas un sujet. C’est un nom.

Une personne. Qui existe et/ou qui a existé.

Et dont la vie ferait un film ou une série « formidable ».  

Certes.

 

On aime ça les histoires vraies au Québec. Il y a – pour des raisons psychanalytiques obscures – une sorte de plus value sur les « histoires pour de vrai ».  La vérité dépasse la fiction, c’est bien connu, et donc, il y a une espèce de croyance que « la vraie vie » fasse une meilleure histoire que la vie inventée par une imagination forcément douteuse.

L’aspect pervers de la chose étant bien sûr que l’auteur, le scénariste, devient presque accessoire puisque l’Histoire s’est déjà chargée d’écrire l’histoire. Comme m’a déjà dit quelqu’un de candide; « c’est plus facile d’écrire une histoire vraie, non? Tout est là, t’as juste à « typer ».

C’est ça, oui. « J’ai juste à typer ».

Secrétaire de luxe.

Déjà vous êtes prévenu sur la façon dont vous serez perçu par les gens qui n’ont aucune idée du coefficient de difficulté de l’écriture d’un « biopic ». Sachez que vous ferez face, parfois seul, parfois en collégialité et solidarité avec votre producteur, à une foule de considérations éthiques, légales, dramaturgiques et autres difficultés inhérentes au genre.

Ces questions sont toutes intéressantes et elles ont le mérite d’éclairer une démarche d’auteur, voir même la possibilité de le guider dans le noir…

Vaut mieux être prêt. Vous songez quand même à accepter le mandat?

Parfait. Vous êtes majeur et (j’espère) vacciné.

>  Suis-je en conflit d’intérêts?

Cette personne dont je devrai raconter la vie, est-ce quelqu’un que je connais personnellement?

Si oui, serai-je tenté par l’hagiographie, éliminant d’office tout ce qui pourrait ternir l’image du héros?

Ou est-ce que mon opinion personnelle et notre histoire commune me portera au le règlement de compte?

Si le fait d’être un témoin direct de l’Histoire n’est pas forcément un handicap (et parfois même un atout), il est important de répondre en toute intégrité à ces questions. Seul à seul, face à soi-même. Ne serait-ce que parce que l’une ou l’autre des réponses influencera forcément la dramaturgie du film.

>  Assurez-vous que votre sujet est mort

C’est bien connu, les meilleurs personnages « ayant vraiment existé » sont toujours morts et donc, on pourra écrire sa vie en paix, right?

Wrong. Il y a les héritiers, la veuve, les maitresses, les anciens collaborateurs, les complices, les victimes, alouette. Qui ont tous une version différente de ce qui s’est réellement passé, et de comment ça doit être interprété.

Reste qu’un mort est quand même plus accommodant qu’un vivant.

>  Votre sujet est vivant (zut) préparez bien votre rencontre

D’abord, évitez de « googler » votre futur héros.  Je vous entends déjà; « comment, pas de recherche »?!?

Jamais pour une première rencontre. Il se dit et s’écrit multitudes de choses sur quelqu’un. Par des gens qui ont parfois des agendas que vous ne connaissez pas. Certains ont voulu louanger (parfois à tort), d’autres nuire (parfois à tort aussi). La vérité, cette évasive coquine, est toujours ailleurs.

Ces opinions et/ou faits rapportés influenceront votre jugement, vous remplissant le cerveau d’un tas d’à priori qui n’ont pas leur place dans une première rencontre.

Des rencontres, il y en aura d’autres. Des premières impressions, non.

Laissez-vous « frais », ouvert, disponible à cette première rencontre. À l’écoute de votre instinct.

Il sera toujours temps de googler après.

>  Faites une mise au point avec vous même après la rencontre

Vous venez de rencontrer votre sujet.

Vous l’avez adoré et/ou détesté. Refroidissez quelques jours. L’amour, et son pendant la haine, sont aussi mauvaises conseillères l’une que l’autre.

Essayez aussi de rester lucide si par hasard, un emportement justicier s’emparait de votre cerveau.

Si une excellente histoire peut aussi défendre une cause, une cause ayant préséance sur la dramaturgie fera un mauvais film.

Oui, cette pauvre fille qui purge une peine de prison pour un infanticide qu’elle n’a pas commis, c’est d’une injustice sans nom et vous voyez déjà le potentiel salvateur sur le cours d’un destin.

Jusqu’à ce qu’un nouveau témoin, crucial, se manifeste et que de nouvelles preuves accablantes contre « la pauvre fille » soient mises à jour et l’incriminent définitivement.

Le soir de la première du film.

Ça vous bousille un plan marketing solide, ça.

>  Au moment de la signature du contrat, exigez d’être bien couvert par l’assurance « erreurs et omissions »

Sans quoi vous pourriez être à la merci d’un département marketing (encore lui) qui vendra la série/le film sous le slogan « la vraie histoire » ce qui pourrait valoir au scénariste une poursuite en bonne et due forme de la part d’une « vraie » personne, furieuse de se voir travestie par la fiction.

On ne peut jamais prétendre à « la vraie histoire ». D’un, c’est d’une présomption sans nom, de deux, c’est avouer sa propre bêtise en public. 

Même si on est rigoureux dans sa recherche, même si on rencontre tous les témoins (et qui vous garantit qu’ils vous diront la vérité? Personne), même si on est soi-même un témoin direct de l’Histoire, on ne sait jamais tout.

On en échappera des bouts, forcément.

Le travail du scénariste sur un « biopic » n’est pas de tout raconter, encore moins de prétendre à la véracité des faits. C’est d’écrire le meilleur film possible dans des circonstances compliquées.

>  Les questions éthiques sont inévitables

En cours d’écriture, juste au moment de remettre une version dont vous êtes enfin satisfait, un fantôme sortira du placard, venant contrarier tout ce que vous venez d’écrire.

C’est la loi de Murphy, inévitable.

Tout à coup, votre défenseur de la veuve et de l’orphelin est un beau salaud qui bat sa femme et martyrise ses enfants. Ou alors votre saint humanitaire qui risque sa vie pour sauver les pauvres africains en détresse se révèle un agent de l’Opus Dei. Ou un pédophile.

Que faire? En parler avec son producteur, bien sûr.  La cohésion de l’équipe scénariste, réalisateur, producteur est encore plus cruciale dans un « biopic » et la collégialité devant l’épineuse révélation est de mise.

Si l’information explosive s’est rendue jusqu’à vous, elle se rendra au public, soyez-en sûr. Il est donc capital d’en tenir compte avant qu’il ne soit trop tard, ne serait-ce que pour bien préparer les arguments qui font … qu’on n’en tiendra peut-être pas compte.

En fiction (parce que oui, il s’agit quand même de fiction), tous les choix se défendent, il s’agit d’être lucides, histoire de faire les choix les plus éclairés.

Et de ne pas se faire prendre les culottes baissées quand on se fera critiquer sur ces choix à la sortie du film ou de la série.

On saura faire face, parce qu’on sera prêts. Ensemble.

>  Sur la véracité des faits, vous vous questionnerez… mais pas trop

Mais la vérité, elle, me direz-vous, c’est crucial dans une histoire vraie, non?

Je veux bien que la vérité soit capitale. Mais laquelle?! 

En écrivant la série « René » (qui portait sur la vie de René Lévesque, dit « Petit Poil »), j’ai compris que la vérité, aussi changeante et variable que les mille et une facettes d’un miroir éclaté,  n’existait pas. Que toujours elle me fuirait!

Et qu’il faudra l’accepter.

Au milieu des versions contradictoires, du besoin (légitime et normal) de sauvegarder sa réputation dès qu’il est question de passer à la postérité, des mensonges que se racontent à eux-mêmes la plupart des êtres humains, et des convictions personnelles qui finissent par teinter les faits, une chatte n’y retrouverait pas ses petits.

Ici, le scénariste a encore des cheveux. Mais ses illusions fondent à vue d’œil. Comment diable va-t-il pouvoir s’en sortir?

Mal, évidemment.  Pour une secrétaire qui n’a « qu’à typer », il commence à trouver que sa charge est bien lourde et il pressent (à juste titre) qu’on lui fera porter l’odieux de tout ce qui n’arrange ni les uns, ni les autres.

Vous savez, ceux qui écriront aux journaux pour clamer que « ça ne s’est pas du tout passé comme ça »?

Ceux-là.

Vous songez, je le crains, à résilier le contrat tant l’espoir que la lumière au bout du tunnel ne soit qu’un train.

À moins que…

>  Au diable la « vérité »

Oui, oui. Vous avez bien lu. Au y’ab’ même!

Sinon, la lumière sera toujours un train.

Invitée, il y a quelques années, par le département d’histoire de l’UQAM, sur les métiers de l’histoire en dehors de son enseignement. Parmi les métiers de l’histoire, il y a aussi les auteurs de fiction qui la racontent.

Nous. 

Cette conférence était bondée d’historiens. Mon plus grand choc a été d’apprendre qu’au sein de la communauté des historiens, les divergences d’opinions et autres dissensions étaient  nombreuses, les désaccords fréquents, et l’Histoire, sujette à être remise en question, niée, détournée, revisitée et écrite aussi souvent qu’il y avait d’historiens prêts à la réécrire.

Qui avait raison et qui avait tort sur la vérité des évènements? Tout le monde et personne.

Bien sûr, certains faits sont irréfutables. Des dates, des signatures sur des documents, des naissances, des décrets, des lois, des condamnations, des mariages et des morts.

Mais le spectateur ne vient pas pour des dates et des explications fastidieuses. Encore moins pour la beauty shot sur une signature de décret.

Il vient pour se faire raconter une histoire.

Une histoire inspirée par des faits réels, soit. Mais une histoire aussi palpitante qui si elle était tout droit sortie de Shéhérazade défendant sa vie.

Il est là notre travail.

Rendre l’Histoire aussi passionnante que si elle était une histoire inventée… 

Pour l’audace, la vision fantasmée de l’auteur, le respect de l’essence du personnage plutôt qu’une laborieuse suite d’anecdotes « réelles », le « biopic » sur Gainsbourg est l’un des meilleurs qui ait été fait.

Gainsbourg (vie héroïque) par Joann Sfar

 

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