Mathieu Dupuis
L'état des lieux avec Steve Galluccio
Geneviève Lefebvre
Scénariste de Mambo Italiano, Funkytown, Surviving my mother, la série télé Ciao Bella, coproducteur de la pièce « 39 marches » et auteur du délicieux et croustillant « Montréal à la Galluccio », un guide pas comme les autres.
Élégant, extravagant, cosmopolite, Steve Galluccio est aussi le poster boy du glamour.
Q : Montréal, mâle ou femelle?
Femelle... Parce qu'elle change d'avis souvent!
Q : J'ai adoré ton livre, chaque lieu que tu décris, c'est un petit film.
Je n'écris pas des romans, j'écris des films. Alors ç'a été comme un long monologue. En fait, c'est ma relation avec Montréal, j'ai raconté des anecdotes sur les lieux. Ce qui fait que ce n'est pas comme les autres guides, ce n'est pas un guide conventionnel. Quand je me promène dans Montréal, c'est toujours comme si c'était la première fois. C'est une ville tellement riche, du point de vue architecture, énergie, population. On ne voit jamais le même monde. Je découvre la ville chaque fois que je sors.
Q : Jusqu'à quel point est-ce que le scénariste Galluccio est présent dans ton livre?
Le scénariste est présent partout, dans ma vie de tous les jours. Il est toujours là! Je vis plus dans ma tête que dans la vraie vie. Quand je me lève le matin, c'est toujours un nouveau scénario dans ma tête.
Q : Parle-moi de ta relation avec les lieux, de leur influence sur toi.
Ça dépend de l'historique du lieu dans ma vie. Comme le Café Italia ou le Via Crescent, c'est des endroits que j'ai côtoyés longtemps, depuis que je suis tout petit pour le Café Italia. J'ai une relation plus intime avec ces endroits-là. Il y a des endroits avec lesquels je tombe en amour, comme le Daylight Factory, où on a eu notre lancement (du livre), le propriétaire est tellement chaleureux, tellement le fun, je m'assois toujours au bar pour manger, j'ai toujours des conversations avec lui, c'est comme un vieil ami. C'est un gars qui te parle beaucoup, qui te raconte des anecdotes sur son restaurant.
Q : C'est un lien affectif que tu as avec les lieux?
Oui, oui, oui. Comme avec la ville.
Q : Ça se retrouve dans tes films?
Je pense que ça se retrouve toujours dans mes films. Le problème, avec un film, c'est que, par exemple, quand j'ai commencé, je donnais tous les lieux exacts de l'action. Sauf que tu es désappointé quand ça ne se peut pas. Dans Funkytown, le café qui s'appelle « La Casa Crescent » c'est inspiré du « Via Crescent ». Quand je suis rentré dans le décor, c'est pas que c'était pas beau, mais c'était pas ça que j'avais décrit. Ils avaient fait une ambiance « classique clichée » d'un resto italien. Ils avaient mis des petits drapeaux italiens sur toutes les tables. J'ai demandé au CCM « est-ce qu'ils ont déjà filmé ici ? » Comme ils n'avaient pas tourné encore, j'ai volé tous les drapeaux! Ça n'avait pas de bon sens!
Le bonheur de ce bouquin-là, c'est que je pouvais décrire les lieux tels qu'ils étaient. On a pris des photos de tout, partout, et elles sont dans le livre.
Q : Tu viens d'écrire ton premier livre. Des révélations, des surprises?
Ce qui m'a surpris, c'est que j'ai eu une liberté comme je n'en avais pas eu depuis longtemps en écriture. On m'a vraiment donné carte blanche aux Éditions de l'Homme. J'ai présenté quelques textes et le seul commentaire d'Erwan (l'éditeur), ç'a été « j'aimerais voir plus ta personnalité dans tes descriptions, ton sens de la répartie, ton sens de l'humour, même ton petit côté « bitch », je veux le voir ».
Je lui ai dit « t'es sûr »?! Okay!
Personne ne m'a donné des notes. Ça, j'ai trouvé ça absolument extraordinaire (rires). Une liberté totale.
Comme scénariste, je suis habitué d'avoir des notes, je suis habitué de réécrire, et ça ne me dérange vraiment pas. On me fait des commentaires, mais surtout sur le « story line », jamais sur mes personnages ou mes dialogues. Alors mon style est toujours là, je suis très chanceux, mon style est très respecté.
Mais c'est vrai qu'après il faut que tu présentes à la Sodec, à Téléfilm... C'est tout le processus qui est épique.
Tandis que l'écriture d'un bouquin, ça fait longtemps que je n'ai pas eu cette liberté-là.
Q : Dans la fiction, tu es derrière les personnages, alors que dans « Montréal à la Galluccio », le personnage, c'est toi! Ça aussi c'est différent.
Exact. En fiction, on te pose toujours la question « est-ce que ça a du sens, est-ce que ça se peut qu'un personnage fasse ci ou ça »? Alors que là, je me suis complètement laissé aller.
Je suis très chanceux, parce que quand je sors un film, j'ai beaucoup d'entrevues, autant que le réalisateur. C'est vraiment inhabituel, je suis une exception à la règle.
Avec le livre, je fais toute la promo. C'est juste moi. Et ça, c'est un peu bizarre... Et c'est un peu triste, parce que ce n'est pas juste moi. C'est tout un travail d'équipe. Ç'a été intense, parce qu'on a travaillé vite. C'est pour ça que j'ai remercié tout le monde au lancement, parce que tout le monde a travaillé fort. Je me sentais comme, « ben oui, mais y'a d'autre monde, c'est pas juste moi ».
Q : Parlons d'argent. Dans le livre, tu prends soin de mentionner des endroits qui ne sont pas chers, des boutiques où on peut faire des bons « bargains ». L'argent, c'est une préoccupation qui est présente pour toi comme scénariste?
Non. Je laisse ça au producteur complètement. Par expérience, je sais qu'une fois qu'ils font leur dépouillement, c'est sûr qu'ils vont me dire que c'est trop cher, ou qu'ils n'ont pas le budget pour tourner ici ou là... Mais quand j'écris le scénario, je décris le genre d'endroit que je vois, tout en sachant que ça va se décider au tournage.
Q : Est-ce que tu trouves que Montréal est bien utilisé par le cinéma?
Non! Non, non, pas du tout! Quand on voit Montréal au cinéma, quand c'est un personnage qui est branché, c'est toujours le Plateau Mont-Royal où il a un super beau loft. Tu vois beaucoup l'est de la ville, beaucoup, beaucoup, mais pas l'ouest. Tu ne vois pas beaucoup le centre-ville. Quand on a fait Funkytown, on s'est battu Daniel Roby et moi pour tourner dans le centre-ville. C'était une bataille comme tu peux pas savoir. Les gens des locations nous disaient « c'est trop cher, c'est trop de trouble». Mais tu ne peux pas tourner un film sur l'ère disco à Montréal et ne pas tourner dans le centre-ville. On était dans l'ancien Red Light, sur Stanley, mais ça été une bataille. Et pour le Vieux-Montréal, c'est surtout les Américains qui tournent là...
Il y a beaucoup de cinéastes qui tournent à Montréal, mais qui ne sont pas de Montréal. Alors ils ont une vision très heu... (un long moment). Ils ne connaissent pas bien Montréal. Alors ils tournent dans les endroits où sont tournés tous les films.
Quand on a tourné Mambo Italiano, on était les premiers à tourner dans la Petite Italie, sauf Café Italia avant (le documentaire de Paul Tana).
Q : Je te donne carte blanche pour faire un film, ta seule contrainte, c'est que toute l'histoire se passe dans un seul quartier de Montréal. Le nom de ce quartier serait le titre du film.
Un seul quartier? Oh my God. Ce serait tellement difficile! Wow. Heu. Ce serait le Golden Square Mile (au centre-ville). Plein de gens ne connaissent pas le Golden Square Mile.
Q : Tu as écrit « Surviving my mother »... Tu penses qu'on peut survivre au fait de vouloir faire du cinéma à Montréal?
Oui. On est dans une période de transition pour plusieurs raisons. Premièrement, c'est sûr que le cinéma n'est pas aussi populaire qu'il y a dix ans et ça c'est mondial. On a un problème parce qu'il faut se réinventer. L'industrie est en train de se réinventer, à cause de l'internet, à cause du « downloading », à cause de toutes les nouvelles technologies. Quand on sort un film maintenant, ce n'est plus comme il y a cinq ans. Il faut être sur Twitter, il faut être sur Facebook, il faut être sur YouTube.
Et aussi, il y a les fameuses compressions budgétaires. Les films se font à Montréal, mais c'est très lent avant qu'un projet voie le jour maintenant. Avant, tu avais un contrat, tu écrivais un scénario et tu pouvais te dire « on va tourner l'année prochaine ». Ce n'est plus le cas. Maintenant, tu te dis « peut-être dans deux ans ». Et puis, il n'y a pas que les compressions. Il y a plus de monde qu'avant qui veut faire du cinéma. Il y a plein de films québécois qui sortent, et c'est merveilleux, mais en même temps, t'es tellement en compétition contre d'autres films québécois qu'il y a moins de monde qui vont voir chacun des films.
Je ne sais pas si ça a du sens, mais c'est comme ça. Alors, est-ce qu'on peut survivre, oui. Mais c'est de plus en plus difficile.
Il faut absolument faire autre chose. On ne peut plus avoir, comme avant, un seul projet sur la table. Moi, présentement, j'en ai je ne sais plus combien. I lost count. Ce n'est pas possible de miser juste sur un. Il faut que tu en écrives quatre ou cinq, il faut que tu collabores. Que tu fasses de la télé.
Q : Tu en fais de la télé?
Oui, j'ai recommencé même si j'avais dit « plus jamais ». J'ai deux séries en développement. Mais là, j'ai le goût de le faire parce que je trouve que la télévision a tellement changé. Je ne veux pas faire une série télévision tout seul, j'essaie de prouver qu'au Québec on peut écrire à plusieurs, comme aux États-Unis, avec un « writer's room », c'est ça le but. C'est moi le « head writer » mais je veux plusieurs scénaristes, pour écrire quelque chose qui est bien, et pas dans une situation où t'es tout seul à écrire 26 épisodes et tu fais un burn-out.
Q : Comme auteur, qu'est-ce que c'est pour toi, Facebook? Utile ou perte de temps?
Oh très utile. Très utile. Parce que c'est sûr que quand on est en train d'écrire, on est devant l'ordinateur, on est sur Facebook aussi. T'écris, tu prends un break, tu vas sur Facebook, tu retournes écrire. Et moi, j'ai beaucoup d'amis auteurs sur Facebook. Alors quand je bitche avec toi, ou avec Isabelle Langlois ou Richard Blaimert, c'est comme des mini scénarios. Ça donne une inspiration. Ça garde ton énergie où elle devrait être pour écrire. Parce que sinon, t'es seul devant ta page blanche, ton écran blanc et tu te dis « fuck, je sais pas quoi faire ». Alors tu vas sur Facebook et ton adrénaline revient, ton adrénaline fonctionne, et tu peux retourner écrire.
Ça peut aussi être une perte de temps (rires). Il y a des jours où « if it ain't gonna happen, it ain't gonna happen, you know »?! T'as les meilleures intentions au monde, tu t'assois et... rien.
L'écriture, il faut y penser beaucoup aussi. Je ne fais jamais de scène à scène. J'écris une scène, je ne sais plus quoi écrire, j'arrête. J'y pense avant de dormir, c'est dans ma tête, je recommence le lendemain. C'est un « stop-and-go », je peux seulement écrire comme ça, sinon c'est pas « fresh ».
Q : Je ne peux pas te laisser partir sans te demander quels sont tes secrets de beauté.
Oh my God, je suis tellement « low maintenance »! Je ne mets pas de crème, je ne m'entraine pas. Le seul exercice que je fais, c'est la marche. Je peux marcher pendant des heures, j'adore ça. Mes secrets de beauté sont très simples, le matin, je me lève, je prends ma douche, j'ai des cheveux d'Italiens, alors je ne mets rien dedans, ça ne bouge pas!
Et c'est tout! Moi, si c'est trop long, ça ne m'intéresse pas!
Q : Comme pour l'amour?
C'est ici que la conversation a dérivé sur les mérites comparés du Kamasutra et des petites vites. Conversation, qui, vous vous en doutez, ne paraitra pas dans l'Info-SARTEC.
Par contre, quelques verres dans l'un des endroits recommandés dans le « Montréal à la Galluccio » de Steve pourraient peut-être délier les langues...
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On trouve Steve Galluccio sur Facebook - où ses « bitches » sont célèbres - ainsi que sur Twitter à l'adresse suivante @stevegalluccio
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