50px
25px

Gracieuseté

Une journée à HEC Montréal

17 décembre 2014
50px
25px
Bloc texte

Carmel Dumas

Colloque sur l'impact économique de la création audiovisuelle

 

Gravissant par un radieux matin d’automne les imposantes marches menant à l’entrée de la première école de gestion du Canada, fondée il y a plus de cent ans,  le visiteur ne devine pas l’état de grâce dont il sera bientôt béni.  L’invitation précisait que l’événement se déroulerait au rez-de-jardin, une expression aux connotations nobles, peu ou pas utilisée dans nos conversations courantes, mais ô combien justes dans le contexte de ce colloque sur l’impact économique de la création audiovisuelle auquel nous sommes conviés en ce matin du 30 octobre par la SARTEC et l’Académie canadienne du cinéma et de la télévision. Mettre le pied dans HEC Montréal,  en particulier pour des auteurs si souvent enfermés devant  l’écran qui a usurpé le rôle de la page blanche, c’est comme redécouvrir la lumière, tant l’espace en absorbe et en diffuse, la structure de l’architecte d’origine hongroise Dans S. Hanganu nous enveloppant du boisé tout autour, au point qu’en arpentant le hall on en oublie qu’un majestueux écran de verre nous sépare de cette nature toute de calme inspirant.  Cette quiétude nous prépare psychologiquement au message que lancera dans quelques minutes la première conférencière du jour, Joëlle Noreau, économiste principale chez Desjardins : «   Le fatalisme n’a pas toujours sa place. »

Il faut malheureusement le noter, l’assistance est trop mince en regard de la somme d’énergie qu’ont certainement exigée la conception et la coordination de ce déploiement d’analyses et de statistiques offert par des économistes et des chercheurs d’envergure qui ont fait leurs devoirs. Une réalité explique probablement cet absentéisme : peu de membres de la SARTEC sont en moyen de débourser 95 $ pour un cours magistral sur l’état financier du milieu professionnel dans lequel ils ont peine à joindre les deux bouts, nonobstant le confort financier des quelques heureux signataires d’œuvres à succès ou de productions régulières. Pour les autres- qui sait ?

Chose certaine, l’information et la réflexion apportées au cours de la journée représentent une banque de données importantes pour les associations professionnelles et pour les chiens de garde veillant sur la pérennité de la créativité et des créateurs.

Car les eaux sont brouillées, c’est clair. La vivacité et le  rayonnement de l’audiovisuel ne sont cependant pas en cause. D’entrée de jeu,  notre présidente met les points sur les i : «  Le discours identitaire rencontre peu d’échos auprès de nos gouvernements tournés vers la productivité, la rentabilité, le retour sur l’investissement…

Il est devenu nécessaire que l’on s’approprie le discours économique pour défendre nos intérêts et faire la preuve que nous sommes non seulement essentiels à l’expression culturelle d’un peuple, mais aussi à sa vitalité économique »,  insiste Sylvie Lussier.

Le propos est dans l’air, avec les sapes sauvages chez les diffuseurs publics et la sévère réduction des crédits d’impôt touchant toutes les entreprises du Québec, incluant les culturelles. Nombre de participants au colloque étaient, la semaine précédente, parmi les représentants des organismes de l’industrie culturelle défilant à la commission d’enquête sur la fiscalité dirigée par l’économiste fiscaliste Luc Godbout (Commission Godbout). Pierre Fortin, qui y témoignait d’ailleurs au nom de plusieurs syndicats du milieu, réitère à HEC sa conviction que le problème réel réside dans le secteur santé, qui, à son avis, « écrase toutes les autres missions de l’État. »  Nous avons expliqué devant la Commission Godbout, que « la culture a des caractéristiques très particulières qui la distinguent des autres secteurs, avec des retombées très larges et pas limitées. C’est dégueulasse qu’ils viennent nous dire que ça prend l’effort de tous quand on identifie d’où viennent les problèmes budgétaires. On l’a faite, notre part, ces dernières années. 

En introduction à sa présentation, Pierre Fortin avait choisi une citation de la chanteuse lyrique d’origine française Natalie Dessay, relevée dans une entrevue accordée à Paris Match  l’été dernier :

« La culture et l’éducation sont les seuls remparts contre la barbarie. »

Retournant aux sources, il est intéressant de noter que la soprano engagée de renommée internationale  répond ici à la question : « Comment faire venir un autre public, plus jeune, à l’art ? »  Elle dit aussi que « l’éducation artistique est marginalisée, déconsidérée » et s’interroge à son tour, se répondant du même souffle : «  Mais notre société, qui repose sur le consumérisme et le chacun pour soi, se donne-t-elle les moyens d’apporter l’art et la culture au plus grand nombre ?  J’en doute. »

Au-delà et en dépit des inévitables considérations philosophiques inhérentes au fait culturel, le colloque a donné lieu – il fallait s’y attendre – à un festival de chiffres qui relevait du défi pour nos maîtres économistes eux-mêmes, le titre de la présentation de madame Noreau résumant bien la difficulté : « Prendre la mesure de l’insaisissable ».  Le sous-titre du colloque, précisons-le, annonçait le désir de « mieux cerner l’investissement dans le processus de création. »  Et encore, sur la page couverture de l’élégant cahier de référence, ce justificatif, ce déclencheur de l’effort fourni par la SARTEC et l’ACCT : «  En culture, on ne vit pas que des largesses de l’État comme l’affirment certains clichés ! » Le coloré et vénérable Pierre Fortin, économiste missionnaire au monde de la production télévisuelle,  cherchait peut-être à rétablir un certain équilibre en y allant d’une première intervention de la salle avant de passer au podium : « Il faut arrêter de chiquer la guenille ! »  À savoir si la revendication serait trop répandue chez les créateurs, madame Noreau répond fermement : «  Il ne faut pas se priver – personne ne le fait, de toute façon. » 

Télécharger le pdf

50px
25px
50px
25px